A l’occasion de la sortie imminente du DVD saison 1, voici l’extrait d’une interview de Pierre Serisier, un expert en séries télé ( chroniqueur sur le blog le monde des séries ) qui partage ses impressions sur la série et livre son diagnostic sur le monde des séries.
On connaît Alan Ball pour le cultissime Six Feet Under, une série profondément inscrite dans la réalité. Que peu apporter un tel réalisateur comme dimension dramatique dans un contexte fantastique ?
Très difficile de la dire. L’homme est doué et a de bonnes idées de réalisation. Il se sert des romans de Charlaine Harris comme base de travail, mais il s’en éloigne nettement dans la réalisation, y apportant des touches personnelles et des évolutions qui ne figurent pas dans les ouvrages. On a le sentiment qu’il a fait le voeu de ne rien s’interdire. Ainsi dans la saison 2, il explore la mythologie au travers des adorateurs de Bacchus, laissant en grande partie de côté l’aspect vampire. Comme si True Blood n’était plus tout à fait une série sur les vampires, mais quelque chose de plus large et de plus vaste. Un propos sur la persistance des croyances et des pratiques ancestrales en contradiction avec la modernité.
Q : Dans Six Feet Under, Alan Ball s’attaquait fortement au racisme, à l’homophobie, etc …A quel point True Blood utilise les vampires comme métaphores de ce qu’une certaine Amérique déteste encore ?
Il est évident que les vampires sont le symbole d’une minorité exclue. Le thème est d’actualité aux Etats-Unis car les minoritaires seront « majoritaires » dans la population américaine en 2020. Donc leur intégration est une préoccupation très importante pour la majorité blanche anglophone qui, ne l’oublions pas, règne sur Hollywood et sur l’industrie du divertissement. Ball estime sans doute que cette évolution est inévitable et que le mieux est de s’y préparer afin de l’accepter le moins douloureusement possible. Ce thème de l’exclusion et de la crispation des Blancs est renforcée et caricaturée par l’apparition d’intégristes religieux. La condamnation du fanatisme est claire. La liberté religieuse qui est un phénomène typiquement américain est ici dénoncé comme source d’excès, de violence et surtout de régression de l’intelligence humaine. Cette dénonciation du phénomène sectaire n’est pas neuve. Elle existe également dans Big Love.
Anna Paquin et Stephen Moyer (Sookie et Bill dans la série), vivent ensemble dans la vraie vie. Pensez vous que cela puisse renforcer la justesse de leur relation dans la série ?
Aucune idée. Etait-ce le cas pour Lauren Bacall et Humphrey Bogart ? Je n’ai pas de réponse.
Selon vous, à quel genre de publique s’adresse True Blood ?
Clairement les 15-25 dans un premier temps et dans la promotion virale qui a été menée de manière extrêmement soutenue. Mais cela n’était certainement qu’une stratégie de lancement car la série elle-même s’adresse à un public plus large en raison des thèmes abordés. Au final, cela parle en priorité aux adultes 25-49 éduqués, ayant une conscience politique et non plus aux adolescents qui ne peuvent pas se retrouver dans les personnages. Elle s’adresse aussi aux étrangers. C’est du HBO, c’est destiné à s’exporter et à avoir une renommée mondiale..
Il n’est pas rare que l’aspect fantastique soit utilisé à Hollywood pour créer une « satyre dissimulée ». Est-il encore difficile de parler frontalement de certains sujets ?
Non. Les séries abordent tous les sujets sans se cacher. Elles le font depuis des années et sont souvent beaucoup plus incisives et caustiques que le cinéma. D’ailleurs, elles se démarquent nettement du grand écran sur ce point et elles rejoignent plus les émissions de radio d’autrefois qui était très moqueuses Etre en prise avec les grandes tendances d’une époque est le propre des séries TV. Leur temps de latence pour aborder un phénomène est relativement réduit, en raison de leurs production rapide. De plus, au fil du temps et en trouvant leur identité, elles ont développé un ton qui est très libre et surtout beaucoup moins sentencieux, beaucoup plus élaboré. Au cinéma vous n’avez que 2 heures. Dans une série vous avez 13 épisodes au minimum.
Pourquoi les Etats Unis ou encore l’Angleterre produisent des séries différentes et originales, alors que la France reste encore frileuse et présente des produits qui ne prennent que peu de risques ?
C’est une question sans réponse, une espèce de serpent de mer. Un problème de culture, un problème de mentalité, un problème de pratique du genre. Les Français sont attachés au cinéma et pensent que la TV c’est mal. Ce phénomène existait autrefois pour les romans policiers qui étaient tous rangés dans la catégorie des romans de gare.
Est-ce par manque de public que des séries matures et originales n’envahissent pas le petit écran Français ?
C’est par la faute des chaînes de télévision qui n’ont rien compris à la fiction. Qui préfèrent la télé-réalité, les talk-shows ou les émissions politiques. Elles diffusent les séries parce qu’elles n’ont pas le choix, mais au fond, elles ne les aiment pas. Tout est fait en dépit du bon sens. Sans ordre dans les épisodes. Le principal problème est que nous détestons la télévision, nous la méprisons en fait, nous la considérons comme quelque chose qui n’est pas digne d’intérêt. Et quand je dis nous, ce sont les spectateurs, mais également ce sont aussi ceux qui font cette télévision.
True Blood est une production HBO. Ils sont à l’origine de Band of Brothers, Sur Ecoute ou encore Rome. Qu’est ce qui fait que les productions HBO sont généralement des succès publics et critiques ?
Une marque de fabrique. Une politique qui existe depuis des années. Une capacité à prendre des risques financiers et à savoir choisir des bons sujets. La personnalité de son patron. Regardez depuis 20 ans ce qu’ils ont produit et ce qui peut être considéré comme de qualité moyenne ? Le taux de déchet est extrêmement faible. Comme quoi l’intelligence peut trouver un public.
source : l’intégralité de l’interview sur scifi-universe.com
Le blog de Pierre Serisier sur le Monde : Blog Le monde des séries